Devenir assistant familial : entre obstacles et précarité, un système à bout de souffle

Agrement assistant familial

Seriez-vous prêt à investir des milliers d’euros dans votre logement, sans aucune garantie d’emploi, pour réaliser votre rêve d’accueillir des enfants ? C’est pourtant la réalité à laquelle sont confrontés les candidats à l’agrément d’assistant familial, malgré leur motivation profonde et leur désir sincère d’offrir un foyer stable et aimant à des enfants en difficulté.

Le métier d’assistant familial (AF) est un pilier du système de protection de l’enfance en France. Cependant, les processus d’agrément et de recrutement actuels sont de plus en plus décriés pour leur manque de cohérence, leur complexité et les risques qu’ils font peser sur les candidats. Face à l’augmentation des besoins en protection de l’enfance et de la crise que traverse la profession, il est impératif de réformer ce système pour le rendre plus équitable, plus accessible et mieux adapté aux réalités du terrain.

Un processus d’agrément source de controverses

Les étapes de l’agrément : un parcours semé d’obstacles

Pour devenir assistant familial, le candidat doit obtenir un agrément délivré par les services de protection maternelle et infantile (PMI). Ce processus, qui évalue les capacités d’accueil du candidat, est souvent critiqué pour son manque de rigueur et de cohérence.

Une évaluation subjective malgré les recommandations

Le référentiel d’agrément préconise qu’il est « souhaitable » que l’évaluation soit assurée par deux personnes de qualifications différentes, telles qu’un éducateur de jeunes enfants et un psychologue, pour réduire la subjectivité. Actuellement, bien que la visite du domicile soit souvent suivie d’une évaluation psychologique, elle est généralement effectuée par un seul agent de la PMI.

Pour garantir une évaluation plus juste et équilibrée, il est essentiel que toutes les étapes de l’agrément, y compris la visite du domicile, soient réalisées par un binôme d’agents. Cette collaboration à deux permettrait de limiter les biais subjectifs et d’assurer une évaluation plus rigoureuse. L’évaluation par une seule personne limite également la diversité des perspectives. Or, deux évaluateurs pourraient apporter des points de vue complémentaires, en tenant compte de leurs expériences et formations respectives. Cette pluralité de regards est essentielle pour saisir toutes les nuances de la personnalité et des compétences du candidat. Enfin, le fait qu’une décision repose sur l’avis d’une seule personne peut diminuer le sentiment de légitimité de cette décision aux yeux du candidat.

Les conditions d’accueil et de sécurité : des exigences excessives

Une maison plus grande, mais à quel prix ?

Pour obtenir l’agrément, les candidats doivent remplir des conditions d’accueil strictes. Les candidats doivent disposer d’au moins une chambre libre pour accueillir un enfant et des espaces de vie adaptés. Toutefois, avec une seule chambre, le salaire perçu ne dépassera guère le SMIC. Pour augmenter leur revenu, les assistants familiaux doivent souvent prévoir une deuxième chambre libre pour pouvoir accueillir un autre enfant pour obtenir un salaire décent. Cette exigence, bien qu’elle semble logique sur le papier, pose un véritable problème dans la pratique. En effet, pour répondre à ce critère, les candidats doivent souvent acquérir ou louer une maison plus grande que leurs besoins familiaux, ce qui implique des coûts financiers significatifs.

Des travaux de sécurisation coûteux et parfois arbitraires

Outre les exigences en termes d’espace, le processus d’agrément impose souvent des travaux de sécurisation du domicile. Ces travaux peuvent inclure la pose de protections d’angle, l’ajout de sécurités supplémentaires pour l’escalier, l’achat d’un four à porte froide, ou encore la mise en place de protections devant les cheminées. Ces protections sont parfois inutiles lorsque le candidat souhaite accueillir des adolescents.

Cependant, ces exigences ne sont pas toujours fondées sur des normes uniformes et peuvent varier d’un département à l’autre, voire au sein d’un même département. Par exemple, certains agents de la PMI exigent des factures d’entretien pour les chauffe-eaux électriques, alors que ces appareils ne présentent aucun risque d’intoxication au monoxyde de carbone et ne nécessitent donc pas d’entretien spécifique. Cette situation révèle souvent un manque de connaissances techniques chez certains évaluateurs.

Des demandes parfois excessives et incohérentes

Les exigences imposées aux candidats peuvent sembler arbitraires et, dans certains cas, injustifiées. Au-delà des demandes de travaux, certaines évaluations imposent des protections non requises par la loi, comme des filets de protection sur les côtés des escaliers. Un assistant familial s’est même vu exiger l’installation de filets de protection de chaque côté de son escalier, alors qu’il n’y avait que 3 cm entre les marches et le mur…

Une candidate nous raconte par exemple qu’elle avait acheté des sécurités de portes de placard de cuisine à coller sur les façades. La PMI, lors de sa visite, a fait comprendre à la future assistante familiale qu’elle préférait les sécurités invisibles à aimant. Elle a dû jeter les anciennes et acheter celles voulues par la PMI.

Des intrusions dans la vie privée

Outre les exigences matérielles, certains agents de la PMI outrepassent parfois leurs prérogatives en posant des questions très personnelles aux candidats ou aux assistants familiaux, comme par exemple demander des informations sur leurs revenus et crédits. Ils se permettent aussi parfois des visites un peu trop poussées du domicile, exigeant d’inspecter des pièces comme la chambre parentale et l’intérieur des placards. La vie privée des candidats et des professionnels se trouve alors bien souvent mise de côté, créant un sentiment d’intrusion et de malaise.

Une pression constante tout au long de la carrière :

Même s’il n’y a pas de base légale à ces demandes, la PMI a le pouvoir de donner ou non l’agrément, et sans agrément, pas de travail.

Cette pression perdure tout au long de la carrière de l’assistant familial, qui doit renouveler son agrément tous les 5 ans. Ainsi, tous les 5 ans et à chaque fois qu’il demande une extension d’agrément, il devra se conformer aux exigences de la PMI sous peine de perdre son travail.

De plus, les exigences varient fortement en fonction de l’agent ! Par exemple, lors du renouvellement de son agrément, un agent de la PMI peut demander une protection supplémentaire là où, lors de la première visite, le premier agent de la PMI n’avait vu aucun problème de sécurité.

Une exclusion par les coûts

Le fait de devoir disposer d’une maison plus grande et de devoir réaliser des travaux de sécurisation exclut de facto du métier les personnes qui n’ont pas les moyens financiers de répondre à ces exigences. Par exemple, une personne vivant dans un logement social ne peut pas demander un logement plus grand simplement pour un projet d’accueillir des enfants. De même, beaucoup de personnes n’ont ni les moyens de louer un logement plus grand que leurs besoins, ni d’acheter une maison plus grande, ce qui limite considérablement leur accès au métier d’assistant familial.

Des investissements sans garantie

Le processus d’agrément peut s’avérer particulièrement décourageant lorsque des candidats, après avoir réalisé des travaux coûteux pour se conformer aux exigences de la PMI, se voient finalement refuser l’agrément. Cet investissement financier conséquent, sans aucune garantie de succès, représente un risque majeur pour les aspirants assistants familiaux et peut les dissuader de poursuivre leur projet. Cette situation absurde souligne l’urgence d’une réforme qui sécurise le parcours des candidats et valorise leur engagement.

Le refus d’agrément : un coup dur pour les candidats et pour les enfants

Certains candidats se voient refuser l’agrément pour diverses raisons, parfois contestables. Certains font appel de cette décision et obtiennent finalement leur agrément, accueillant des enfants depuis des années et obtenant même des extensions d’agrément par la suite. Mais combien n’ont pas eu l’énergie ou les ressources pour faire un recours ? Combien de places d’accueil potentielles sont ainsi perdues à jamais, alors que tant d’enfants attendent une famille ? Ce système décourageant prive non seulement des candidats de leur vocation, mais aussi des enfants d’un foyer stable et aimant.

Le recrutement : le parcours continue, toujours sans garantie d’embauche

Un agrément sans promesse d’emploi

Même après avoir obtenu l’agrément, les candidats à la profession d’assistant familial ne sont pas assurés de trouver un emploi. Les conseils départementaux et les associations, principaux employeurs, peuvent refuser d’embaucher certains candidats, même agréés. Cette incertitude rend le processus encore plus risqué pour les candidats, qui ont déjà investi du temps et de l’argent dans leur projet.

Un métier précaire

Il est également important de rappeler que les assistants familiaux ne sont pas des fonctionnaires titulaires. Ce sont des contractuels avec des conditions d’emploi précaires. Il est très facile pour un employeur de se séparer d’un assistant familial. Il lui suffit de ne pas lui confier d’enfant pendant 4 mois et il peut le licencier de façon tout à fait légale ! Dans quel autre métier peut-on se séparer aussi facilement d’un employé ?

Ils ont aussi toujours une épée de Damoclès au-dessus de leur tête avec la peur des informations préoccupantes (IP). Un voisin jaloux, un membre de la famille avec qui ils sont fâchés… N’importe qui peut faire une dénonciation et l’assistant familial risque de voir les enfants lui être retirés, de perdre du salaire pendant quelques mois, voire de perdre son emploi ! Certains assistants familiaux ont déjà eu leur agrément retiré suite à une IP, puis ont été relaxés par la justice. Certains obtiennent leur réintégration, mais après des procédures longues et sans salaire pendant ce temps.

Le placement en famille d’accueil : un choix économique et qualitatif

Alors que le placement en établissement est en moyenne 50 % plus coûteux, le placement familial, garantit généralement un meilleur cadre de vie pour l’enfant. L’accueil familial est d’ailleurs le mode de placement privilégié par l’ONU pour son aspect humain et personnalisé. Investir dans les assistants familiaux, en leur offrant un cadre plus sûr et plus juste, serait donc non seulement une décision économique judicieuse, mais aussi un choix en faveur du bien-être des enfants confiés.

Un financement inégal des structures d’accueil

Il est intéressant de noter que les départements participent largement au financement des constructions et rénovations des Maisons d’Enfants à Caractère Social (MECS), qui accueillent également des enfants confiés à l’ASE. Pourtant, les mêmes départements n’offrent qu’un soutien limité, voire inexistant, aux assistants familiaux qui, eux aussi, accueillent ces enfants. Cette inégalité de traitement est d’autant plus incompréhensible que le travail des assistants familiaux est tout aussi essentiel que celui des MECS.

Propositions pour une réforme en profondeur

Séparer l’agrément en deux phases distinctes

Pour remédier aux problèmes actuels, la FAFPT propose de scinder l’agrément en deux phases distinctes. La première phase serait consacrée à l’évaluation des compétences et des capacités des candidats, sans exigence immédiate en matière de logement. Une fois cette première étape franchie, les candidats pourraient postuler auprès des employeurs potentiels. La seconde phase, déclenchée après l’embauche, validerait les conditions matérielles d’accueil, réduisant ainsi le risque financier pour les candidats.

Uniformiser les critères d’agrément

Il est crucial d’établir des critères clairs et uniformes au niveau national pour assurer l’équité et la transparence du processus d’agrément. Cela permettrait aux candidats de se préparer en toute connaissance de cause et de savoir précisément quelles sont leurs obligations, sans être confrontés à des demandes arbitraires ou incohérentes. Par exemple, il est inacceptable que certains départements refusent le partage de chambre alors que rien ne l’interdit dans les décrets.

Mettre en place un prêt à taux zéro et une prime d’installation

Prêt à taux zéro :

Pour encourager les candidatures, il est essentiel de proposer un mécanisme financier adapté. Une fois que le candidat a obtenu l’agrément de la première phase, il peut chercher un employeur prêt à l’embaucher sous réserve de validation de la deuxième phase (conditions matérielles). L’employeur pourrait alors proposer un prêt à taux zéro pour permettre au candidat de réaliser les travaux nécessaires. Une fois les travaux effectués et la deuxième phase validée, le candidat serait officiellement embauché et recevrait une prime d’installation. Cette prime lui permettrait de rembourser le prêt à taux zéro et de sécuriser ainsi sa situation financière dès le début de son activité.

Prime d’installation:

La FAFPT revendique une prime d’installation de 15 000 € lors de l’embauche. Si cette somme peut paraître importante, il faut la relativiser :

Accueillir un enfant supplémentaire demande d’avoir une chambre de 9 m² minimum en plus, des pièces de vie plus grandes, une voiture plus grande (beaucoup doivent investir dans un véhicule de 7 places, voire 9 places) et d’acheter le mobilier nécessaire à un accueil de qualité (lit, matelas, bureau, armoire…).

Quand on sait que le coût de construction est en moyenne de 1 400 €/m², une prime de 15 000 € est loin d’être excessive.

Les départements financent régulièrement la création de places en MECS. Nous avons calculé le coût de création de places dans ces structures sur plusieurs départements. Les coûts varient entre 50 000 et plus de 100 000 €!

Et tout au long de la carrière :

La FAFPT souhaite également une prime du même montant (15 000 €) pour chaque extension d’agrément. Proposer une place supplémentaire a un coût pour l’assistant familial, et cette prime reste bien moins onéreuse que la création d’une place en MECS. Cela faciliterait l’extension d’agrément pour l’assistant familial et permettrait au département de développer le nombre de places disponibles.

Nous demandons aussi la mise en place d’une prime de 2 000 € lors du premier accueil d’un enfant de moins de 3 ans. Accueillir un enfant en bas âge demande un investissement important en matériel de puériculture : poussette, siège bébé, table à langer… Ce n’est pas à l’assistant familial de financer ce matériel avec son salaire !

Enfin, nous souhaitons une prime de 3 000 € par place d’accueil tous les 10 ans pour financer la rénovation des chambres des enfants, mais aussi le renouvellement du mobilier de ces chambres.

Améliorer la formation continue et l’accompagnement

Enfin, il est indispensable d’améliorer la formation continue des assistants familiaux et de renforcer leur accompagnement tout au long de leur carrière. En plus de la formation initiale, des modules de formation continue devraient être proposés pour permettre aux assistants familiaux de développer leurs compétences et de s’adapter aux évolutions du métier. De plus, un accompagnement psychologique et juridique renforcé devrait être mis en place pour les assistants familiaux confrontés à des situations difficiles, notamment en cas de suspicion ou de mise en cause.

Une déprécarisation du métier : vers la fonction publique

La FAFPT milite activement pour l’intégration des assistants familiaux dans la fonction publique territoriale. Cette évolution leur garantirait une sécurité de l’emploi accrue, une protection juridique renforcée en cas de dénonciation calomnieuse et un meilleur accès aux formations du CNFPT. Cette reconnaissance de leur rôle essentiel dans la protection de l’enfance favoriserait leur professionnalisation et, par conséquent, le bien-être des enfants qu’ils accueillent.

Conclusion : L’accueil familial, un pilier à renforcer

L’accueil familial est un pilier essentiel de la protection de l’enfance, offrant aux enfants un cadre chaleureux et sécurisant. Le système actuel, marqué par des exigences disproportionnées et une précarité professionnelle, met en péril cette ressource précieuse. Il est urgent de réformer l’agrément et le recrutement pour privilégier l’intérêt de l’enfant.

Il est d’autant plus aberrant que certains départements font maintenant appel à des bénévoles qui peuvent accueillir des enfants sans aucun agrément de la PMI, alors que les assistants familiaux, professionnels de l’accueil, sont soumis à des exigences si contraignantes.

Investir dans les assistants familiaux, c’est investir dans l’avenir de nos enfants, faire le choix de l’humain et de la qualité, tout en réalisant des économies. C’est aussi un acte de justice sociale, permettant à tous de s’engager dans cette mission.

Face à l’augmentation des besoins en protection de l’enfance, une réforme profonde s’impose pour garantir un accueil de qualité aux enfants vulnérables et offrir aux assistants familiaux la reconnaissance qu’ils méritent.

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